Féministes pour une Autre Europe

Féministes pour une Autre Europe

dimanche 26 janvier 2014

En 2008 FAE-IFE a lancé le programme Féministes pour une Europe laïque


PROPOSITIONS FEMINISTES pour une EUROPE LAIQUE

Dans une Europe soumise de plus en plus à la contre-révolution néolibérale, plus que jamais les Eglises et les structures religieuses conservatrices ainsi que les courants et organisations religieuses et politiques fondamentalistes lancent une offensive sans précédent contre les droits fondamentaux que les femmes ont conquis de haute lutte depuis 100 ans. Ces deux dernières années cette offensive a pris une ampleur considérable dans le sillage de la destruction de la laïcité en Europe de l’Est puis dans une Europe occidentale minée par le communautarisme religieux et ethnique qui dans de nombreux pays européens tient lieu de politique sociale.
Attaques contre l’IVG, compagnes massives de dénigrement des femmes dans les puissants relais médiatiques religieux (presse, télévision, internet, chaires et rassemblements religieux de toutes les structures religieuses monothéistes – catholicisme, protestantisme, orthodoxie et islam…), endoctrinement réactionnaire des jeunes dans l’enseignement religieux, complaisance affichée face aux crimes sexistes envers les femmes, attaques idéologiques et médiatiques contre le principe de laïcité…

Les femmes sont plus de jamais menacées de faire les premières les frais d’une Europe cléricale et ultralibérale dont le système cimente sa domination politique, sociale et économique par la l’instrumentalisation du religieux dans la sphère aussi bien publique que privée. Une nouvelle « alliance du Trône et de l’Autel » est en marche contre nous.

Plus que jamais, nous, les femmes européennes, nous devons nous défendre !

La laïcité pour l’Europe – voilà notre réponse politique au fondamentalisme et au cléricalisme.

L’Initiative féministe Européenne pour une Autre Europe a analysé l’influence réelle des structures et idéologies religieuses sur la vie des femmes européennes dans chaque pays et a défini ensemble les points communs de la laïcité européenne afin de débattre des moyens pour la mettre en œuvre concrètement.

Notre instrument principal a été le « questionnaire européen sur la laïcité et les droits des femmes » qui nous permet d’accéder aux informations indispensables sur l’influence de la religion sur la vie des femmes en Europe. Ce questionnaire décline des problématiques essentielles et qui ont une influence directe sur la vie et les droits des femmes : relations juridiques et politiques de l’Etat et des structures religieuses, intervention des religions dans l’espace politique, enseignement religieux dans les écoles, mariage religieux et civil, sexisme dans les structures et les idéologies religieuses.

La Conférence « Féministes pour une Europe laïque » du 31 mai et 1 juin 2008 à Rome se veut un deuxième outil pour lutter pour la laïcité dans l’Union Européenne.

Ensemble nous avons élaboré à partir des questionnaires remplis et des multiples analyses et témoignages des membres de notre réseau les revendications suivantes :

  • Aucune religion ni structure religieuse ne doit être soutenue par l’Etat ni considérée comme « religion d’Etat ». La liberté de religion et le respect des cultures ne peut être prétexte à la justification des violations des droits des femmes.

  • Le droit civil et familial doit être exempt de toute référence au religieux. Aucun texte de loi dans aucun domaine ne peut être basé sur des principes religieux.

  • Les Etats ne doivent pas reconnaître les codes de famille étrangers et les lois relatives au statut personnel reposant sur des principes religieux violant les droits des femmes, ils doivent cesser de les appliquer ou de les tolérer sur leur propre territoire et renégocier si nécessaire les traités bilatéraux.

  • Le mariage civil et le divorce doivent être la norme en Europe et la discrimination sociale à l’encontre des célibataires et des homosexuel/les doit relever d’un loi antidiscriminatoire .

  • L’enseignement de l’idéologie religieuse doit cesser dans les écoles publiques. L’histoire des religions en revanche, doit être enseignée dans le cadre des cours d’histoire et être contrôlée par l'Etat.

  • Le sexisme et l’infériorisation des femmes dans les idéologies religieuses, l’incitation à la haine et à la soumission des femmes, la propagande contre la contraception et l’avortement doivent être combattus activement, au même titre que le racisme et l’homophobie et tomber sous le coup de la loi. (proposition de loi antisexiste).

  • Notre corps nous appartient! Nous exigeons que la contraception et l’avortement soient libres et gratuits dans toute l’Europe ! Toutes les lois d’inspiration religieuses criminalisant l’avortement doivent être immédiatement abolies. Le droit à la contraception, l’avortement et à une éducation sexuelle laïque doivent être garantis par l’Union Européenne comme droits fondamentaux.

  • L'éducation antisexiste et l'éducation à l'égalité doivent être menées dès la petite enfance notamment dans les structures publiques.

  • Les structures religieuses doivent être totalement séparées des structures de l’Etat et ne doivent disposer d’aucun moyen d’intervention dans la sphère politique. Elles doivent se financer seules en tant qu’associations de droit commun.

  • Les institutions religieuses internationales doivent être soumises au droit civil dans les pays où elles sont actives. Leur statut privilégié vis à vis des organes de l’Union Européenne et des institutions internationales doit être supprimé. (notamment au niveau de l’ONU, où le Vatican ne doit pas bénéficier du statut d’Etat mais de celui d’ONG avec un titre consultatif ).

  • Les Eglises et religions devront se constituer en Associations Cultuelles et démocratiser leur fonctionnement par l’élection des pouvoirs par leurs membres. Le fonctionnement de ces structures doit respecter les droits fondamentaux des citoyennes et citoyens. Par conséquent les structures ne pourront pas interdire l’accès à aucun poste à aucune catégorie de la population et ne pourront pas propager d’idéologies sexiste, homophobe et raciste.

  • La démocratie doit être le fondement de la construction Européenne. Nous exigeons la totalité du pouvoir législatif pour Parlement Européen, en particulier l’initiative des lois et le contrôle et la censure de la Commission Européenne et de ses fonctionnaires. La parité femme-homme doit être la base de fonctionnement de toutes les instances de pouvoir de l’Union et des Etats. Enfin, l’Union Européenne doit assurer à tous ces citoyens la pleine égalité économique et sociale ce qui suppose l’abolition des politiques néolibérales et la construction d’un système de protection sociale, d’un droit du travail européen et d’un contrôle de l’économie par le politique à l’échelle de l’Union.


2006-2008


Facebook : Feminists for Another Europe

En 2005 FAE, à l'époque Initiative Féministe Européenne pour une Autre Europe a menée la campagne contre le Traité Constitutionnel Européen

INITIATIVE FEMINISTE EUROPEENNE POUR UNE AUTRE EUROPE



Sans garantie des droits fondamentaux, il n’y a pas d’avenir pour l’Europe

L’Europe se construit dans le silence et l’invisibilité des femmes . Son orientation patriarcale et néolibérale entérine la subordination des femmes qui subissent toujours plus la pauvreté, le chômage, le temps partiel imposé, la précarité, les retraites minimes ou inexistantes, le renforcement de toutes les inégalités professionnelles.
Les femmes exigent le droit au travail, des emplois sûrs et des salaires équitables

La concurrence sans frein, le démantèlement des services publics qui vise d’abord la protection sociale et acte le transfert des responsabilités de l’Etat et des collectivités vers l’espace domestique pèsent lourdement prioritairement sur le quotidien des femmes . Nous avons besoin d’une Europe qui développe l’ensemble des services publics, notamment les services aux personnes.
Les femmes exigent que la protection sociale et sanitaire soit un secteur prioritaire et que des mesures soient prises pour permettre aux femmes et aux hommes de concilier vie familiale et vie professionnelle

Le refus de toute logique de guerre et de militarisation de l’Europe implique sa stricte indépendance vis à vis de l’OTAN . Nous ne voulons pas que l’Europe intervienne ou soutienne des guerres dans le monde entier. Nous avons besoin d’une Europe démilitarisée qui consacre les moyens nécessaires au réarmement social.
Les femmes exigent une politique européenne paritaire de prévention qui refuse la guerre comme solution aux conflits internationaux

La construction d ‘ une Europe forteresse qui entrave la circulation des personnes, pénalise, exclue et rejette les personnes immigrées dans la clandestinité est à l’opposé de notre conception de la démocratie et de l’Europe dans laquelle nous souhaitons vivre ensemble .
Les femmes exigent une Europe qui garantisse la libre circulation des personnes, reconnaisse la citoyenneté pleine et entière à toute personne vivant sur le territoire de l’UE et ouvre le droit à l’asile politique pour les femmes victimes de violences sexistes.

Menacées dans leur intégrité physique et psychologique par les violences, les femmes sont aussi à nouveau menacées dans leur liberté à disposer de leur corps .Les droits à la contraception , à l’avortement, au divorce, à la liberté sexuelle sont remis en cause . Nous voulons l’harmonisation pour tous les pays sur les législations les plus avancées.
Les femmes exigent la libre disposition de leur corps et le libre choix de leur orientation sexuelle. Elles veulent que les Etats reconnaissent la violence des hommes contre les femmes comme un problème de société et en assument le coût social

La laïcité est une valeur universelle, elle garantit le respect de toute croyance. La laïcité est la reconnaissance de l’autre
de la différence, elle est un bien commun.. Seule la laïcité permet d’éviter toutes les discriminations. Laïcité et droits des femmes sont très liés ; les religions confortent le système patriarcal et maintiennent les femmes en situation d’infériorité.
Les femmes exigent que la laïcité soit reconnue comme un principe de base de la future Europe.

L’égalité hommes/femmes doit être une des valeurs de l’Europe  pour éliminer toute discrimination fondée sur le sexe , la race , l’origine ethnique , la religion ou l’orientation sexuelle .
Les femmes exigent que l’égalité entre les hommes et les femmes soit une valeur fondatrice du processus de construction de l’Europe  

Face à la mondialisation libérale , les revendications des femmes sont au cœur des luttes.
C’est parce que nous voulons une Europe démocratique et solidaire que nous refusons l’évolution actuelle. Le mouvement féministe européen est une dynamique et une force . Il travaille à construire une autre Europe , une Europe antipatriarcale , une Europe des droits économiques et sociaux , une Europe laïque, pacifique et anti-raciste , une Europe de l’égalité entre les hommes et les femmes.


samedi 25 janvier 2014

Nicole-Edith Thévenin " POUVOIR DE L’IDEOLOGIE, EPREUVE DE LA CRITIQUE POUR UNE RECONSTRUCTION DU MOUVEMENT FEMINISTE"


Conférence publique donné  le 9 novembre 2013 à Capannori Toscana Italie, lors de la rencontre européenne de Féministes pour une Autre Europe


POUVOIR DE L’IDEOLOGIE, EPREUVE DE LA CRITIQUE
POUR UNE RECONSTRUCTION DU MOUVEMENT FEMINISTE

Quel est l’appel que j’aimerais lancer ici? Quel appel qui tienne compte de la conjoncture politique, idéologique et économique pour que cette conjoncture soit pour nous une chance de rebondir au milieu de la régression politique et du désastre social? L’appel à réanimer un mouvement. Le mouvement de libération des femmes. Qu’est-ce ça veut dire? Un mouvement ça peut tourner en rond et tourner rond, ne pas changer d’orbite. C’est, il me semble, là où nous en sommes. On s’agite, on revendique beaucoup, toujours en parcourant les mêmes traces, et dans certaines limites, dans un horizon clôturé. Manque la prise qui nous permette, non seulement de résister dans le courant, mais de résister au courant et de changer de courant, d’interrompre, de prendre une autre direction qui fasse sens, nous désenglue de la tristesse ambiante.

Car un mouvement ça peut aussi emporter, déporter, forcer un chemin. Forcer un chemin c’est pratiquer une ouverture là où rien n’était prévu, là où tout s’oppose, ouvrir sur des horizons nouveaux. Cela suppose avoir l’intelligence d’une situation. Avoir l’intelligence d’une situation, c’est pouvoir la comprendre à partir d’une pensée, d’un point de vue extérieur à la pensée dominante, d’une position non pas statique, mais une position en mouvement qui se donne avec le but , les moyens d’y parvenir.

Mouvement de libération des femmes dit position politique et idéologique pour mettre en mouvement. Par rapport à quoi? Et pour quoi? Pas de mouvement sans théorie de la pratique, une pratique qui revient sur elle-même, se pense, s’autocritique. Car sans théorie, pas de chemin à construire mais une marche hasardeuse, qui se laisse sans le savoir, séduire par les discours dominants. Sans théorie qui donne la compréhension de l’ensemble, et du coup les lignes de démarcation et la ligne de fuite, il y a un tourner en rond où l’on croit avancer, alors que la répétition devient la forme invisible de notre impuissance.

Le mouvement féministe ne se réduit pas à des associations,des partis... ni à des revendications dans un cadre donné même s’il les inclue. Mais il les inclue à la condition d’être ce qui les porte, les emporte au-delà d’eux-mêmes. Le mouvement féministe est apparu comme mouvement, quand il s’est donné un mot d’ordre politique et est rentré dans la bataille idéologique. Quand, en deça du droit et au-delà du droit, il s’est posé comme remettant en question non pas seulement des places dans une structure, mais la structure elle-même, la structure patriarcale. Quand il s’est donné en un mot “l’intelligence de la chose”. Cette intelligence de la chose, nous l’avons perdue avec le reflux des luttes sociales et politiques, avec la crise du mouvement ouvrier, le triomphe du capitalisme libéral et avec, l’enterrement toujours annoncé de Marx et de Freud.

Alors l’idéologie juridique et l’économisme qui l’accompagne sont devenus prédominants. Et avec, ce que j’appelle le fétichisme de l’Etat et de la démocratie (portée par l’assomption de l’idéologie juridique). Nous nous battons plus pour une intégration dans les cadres donnés, que pour la remise en question de ce cadre lui-même, qui impulserait une prise de conscience de la réalité des antagonismes et des contradictions qui sont à l’oeuvre. En cela nous suivons la pente générale de tous les partis et mouvements de “gauche”. Les rapports de force ne sont pas en notre faveur, dés lors nous sommes enclins à nous soumettre à ce qui nous semble impossible à briser, quitte à vouloir le “transformer”. Ce que nous ne cessons de réclamer, l’”extension” de la démocratie, la démocratie “restaurée”, ne change pas la nature de la démocratie telle qu’elle s’exerce dans le système bourgeois, elle ne change pas la structure patriarcale telle qu’elle fonctionne en tant que structure. Se battre pour avoir sa place, des droits, une reconnaissance légale, vouloir ainsi élargir l’espace démocratique est nécessaire, indispensable, il y va de notre vie quotidienne. Mais lorsque cela crée l’illusion que nous gagnons du terrain et que le système va changer, bien que tout l’appareil d’Etat et les institutions qui vont avec, restent en place, alors c’est que nous avons perdu la bataille idéologique et que les batailles gagnées nous font perdre la guerre. Le recul des droits des femmes et de leur poids politique et social nous le signale.

Car le propre de la démocratie bourgeoise est de fluctuer sur les bases du rapport de forces dans la lutte des classes, et cette fluctuation, selon les tendances et contre-tendances, est toujours réappropriée en dernière instance au profit de la classe au pouvoir et du procès du capital, c’est-à-dire au profit de l’exploitation et de la marchandisation des êtres humains, de la destruction du monde. N’oublions pas que la démocratie est née en Grèce à partir d’un rapport de classes (l’esclavagisme). Analyser la reproduction du capitalisme, ce n’est pas s’en tenir à l’économique, mais c’est penser en même temps la fonction et le fonctionnement de la démocratie comme appareil idéologique et politique qui assure la reproduction des modes de soumission, en voilant les intérêts réels qui s’y jouent.


Comment engager alors un autre processus démocratique? Pour le penser, il nous faut revenir au lieu historique d’une vérité qui s’est imposée et à briser ce fétichisme juridique et étatique pour s’établir dans un ailleurs absolu, la Commune de Paris. La Commune de Paris, tirant la leçon des défaites de la classe ouvrière qui, à chaque révolution, servait de marche-pieds à la classe bourgeoise dont elle observait la légalité, s’est établie ailleurs, fondant par son existence même un autre espace politique, en rupture avec l’espace politique de la bourgeoisie. Dés lors, elle a donné le sens des révolutions prolétariennes. Marx nous le rappelle dans Les luttes de classes en France. Le sens des révolutions prolétariennes, ne se donne pas dans la prise de pouvoir pour faire fonctionner la machine d’Etat au profit de la classe prolétarienne, mais dans le fait de briser la machine d’Etat, de changer les rapports de production et inventer un autre fonctionnement de l’organisation sociale qui mettrait fin à la lutte des classes, où l’égalité fonde la liberté réelle. Ce qu’il théorisa sous le concept de “Dictature du prolétariat”. Le mot de Dictature fait peur aujourdhui, après l’expérience des pays dits “socialistes”, qui n’avait rien de communiste. Mais il est nécessaire d’en rappeler le sens (et de dépasser ainsi le terrorisme intellectuel exercé sur la théorie marxiste), lorsqu’il est inscrit dans le concept de “Dictature du prolétariat” : non pas prise de pouvoir pour la répression, mais destruction de tout pouvoir, extension de la démocratie réelle à partir d’un terrain nouveau. Qu’il y ait alors antagonisme exacerbé entre les classes, demande d’en traiter la résolution dans un rapport de force populaire. En ce sens le communisme est le nom de ce mouvement qui ne donne pas le pouvoir à une classe, la classe prolétarienne, mais qui tend vers la mise en commun comme nouvelle pratique de la politique, et construction d’un nouveau mode de production

Prolétariat est le nom de cette puissance de mise en mouvement. Dans ce sens il est mouvement populaire, en tant qu’il appelle toutes les classes sociales ayant une expérience propre de la domination et de l’exploitation, à se fédérer dans un processus commun de libération. De même que le féminisme n’est pas prise de pouvoir des femmes pour inverser une domination, mais formation d’une puissance pour détruire toute prise de pouvoir d’un sexe sur l’autre, qui est le pouvoir de base constitutif de tous les pouvoirs. C’est en quoi il est mouvement de libération. Feminisme et communisme sont liés nécessairement. Ils sont dans l’engagement d’un processsus révolutionnaire qui ne peut se contenter d’améliorer les structures d’assujettissement. Peut-on s’émanciper réellement si on ne se libère pas en même temps de ce qui nous maintient en minorité et/ou en esclavage? C’est pour cela que s’en tenir à la question de la “parité”, en réclamant le partage du “pouvoir”, ne résoudra ni la question de l’égalité ni la question de l’émancipation.

Il y a toujours eu dans le mouvement féministe plusieurs courants. Mais ce sont les courants les plus radicaux qui marquent la tendance d’un mouvement à sa naissance. Car il est ce qui disjoint l’ensemble, le fait craquer, force le chemin pour sa naissance. Puis avec son établissement, son intégration dans les institutions, à l’épreuve du temps et des contre-tendances, ce sont les courants les plus réformistes, les plus tièdes qui vont marquer la tendance. Tel est le pouvoir de l’idéologie dominante et des appareils dans lesquels elle se constitue et se transmet. Elle s’impose à notre insu, dans tous nos petits renoncements qui nous font céder à la fin sur l’essentiel. Or les courants les plus radicaux qui étaient nés du surgissement des mouvements dits “minoritaires”, étaient aussi liés à la pensée de Marx et de Freud, même s’ils ne s’y rattachaient pas directement. Car toute la critique sociale et politique, y puisait son renouvellement et sa force théorique. En dehors des partis et contre les partis.

C’est que la révolution sociale et politique était l’horizon partagé, que penser la relation des hommes et des femmes comme “rapports sociaux de sexe”, c’était les penser sous le concept de structure patriarcale. Ce concept nous donne les moyens de comprendre comment cette structure est à la base de toutes les formes sociales de la domination, puisqu’elle est la première forme et la forme fondamentale de l’appropriation privée, celle des corps, du corps sexué. Cette Division sexuelle comme mode de production spécifique, traverse et structure tous les autres modes de production (appareil d’Etat, partis, syndicats, toutes les institutions...). Par son universalité on peut dire qu’elle fait des femmes une “classe” exploitée. Aussi La domination du capitalisme intègre, pour sa reproduction, la structure patriarcale qui a existé bien avant lui. Et pourtant c’est pour la nécessité de son exploitation qu’il a libéré (contre le pouvoir patriarcal), toutes les forces de travail, femmes et enfants compris, inaugurant ainsi l’universalité de son extension. Mais la division sexuelle du travail lui permet d’amoindrir les forces qui pourraient s’opposer à lui, en exacerbant les conflits entre les hommes et les femmes. Il tire de plus profit d’une force de travail au rabais, qui se doit de réparer, soigner la force de travail masculine.

Pour théoriser la “liaison spécifique” de la lutte des classes et de la lutte contre le patriarcat, nous avions avancé (le groupe d’”Elles voient rouge”)dans Feminisme et marxisme(I), le concept de “surdétermination” pour montrer comment dans tout processus révolutionnaire, la lutte contre le patriarcat est la lutte qui fonde, surdétermine le sens de la lutte des classes. Cette liaison ne pouvait donc être pensée dans la forme de l’extériorité, mais sous la forme de la détermination “en dernière instance” (c’est-à-dire la plus déterminante même si elle n’est pas la cause directe), car elle dessine le destin d’une révolution: qu’une domination des hommes sur les femmes soient maintenue, et c’est toute la hiérarchie et le système de la domination qui se maintient et se reconstruit, annulant le procés de la révolution. Poser la question de la relation entre les femmes et les hommes comme constitutive du devenir révolutionnaire de la révolution, c’est faire entendre qu’on ne saurait séparer ce devenir, du “devenir révolutionnaire des gens”(G.Deleuze), de la transformation de la subjectivité (des hommes comme des femmes), dans son désir d’avoir le pouvoir, c’est-à-dire dans les formes de sa jouissance. Mais c’est aussi mettre l’accent, sur le fait que la lutte contre le patriarcat ne peut elle-même se déployer, que dans le sens de la fin des classes sociales, et de tout système d’emprise sur l’autre pour le dominer ou le dévaloriser. Ça veut dire à l’horizon, défaire le mode de production et donc les rapports de production dans lesquels nous vivons, détruire l’appareil d’Etat qui constitue le socle de sa formation et de sa pérennisation. La théorisation du système patriarcal, appelle à penser sa destruction dans l’horizon du communisme. Seule la théorie marxiste nous permettait et nous permet toujours aujourd’hui, d’être aussi hardies et radicales. Nous écrivions dans Feminisme et Marxisme que le “retard historique” des femmes imposé par la structure “leur donne en même temps un point de vue hors système, qui est un point de vue révolutionnaire”.

Or le mouvement féministe a perdu cette analyse d’ensemble, cette position politique, pour se replier sur des espaces plus identitaires, plus locaux, où prédominent la dénonciation des discriminations, des inégalités, des violences faites aux femmes donc la revendication de droits, laissant tomber l’analyse de la production et de la reproduction du système, et du même coup, toute visée révolutionnaire. Passant ainsi d’une position relevant de la fonction symbolique à une position soumise à une fonction imaginaire. On se bat pour interpréter ce que voudrait l’Autre en collant au système pour l’interpréter, alors que le système ne nous a jamais aussi mal traitées! La prise en compte de la construction des identités et du sujet est nécessaire, elle a réinterrogé la théorie marxiste et permit de re-penser la dialectique subjective de la révolution Elle fait aussi partie de la question essentielle de la reproduction d’un mode de production, la reproduction de l’idéologie dominante que Gramsci théorise sous le concept d’Hégémonie, Althusser sous le concept d’Appareils Idéologique d’ Etat ou Bourdieu sous le concept d’Habitus et qu‘une partie du mouvement féministe a voulu rendre visible sous la catégorie sociale de “Construction du genre”. Mais l’idéologie “identitaire” hégémonique aujourd’ hui, efface la structure et les rapports sociaux de pouvoir, au profit de la seule analyse de la relation entre individus ou groupe, ou communauté ou construction du genre laissant tomber la question politique au profit d’aménagements d’espaces de reconnaissance, au profit de la considération du “local”. Le féminisme, s’il garde toujours une certaine “raison” subversive, forçant la pensée et la pratique à s’affronter à une question à chaque fois déniée et scandaleuse, y perd sa dimension révolutionnaire.

Dans un travail d’enquête qu’elle a mené auprés d’étudiantes sur “les représentations du féminisme” Sandrine Moeschler note qu’à la question “qu’est-ce que le féminisme?”(2), la plupart des étudiantes répondent: “reconnaître ou défendre le droits des femmes”, “valoriser les femmes”, “faire avancer la cause des femmes”, “sans partir du constat de la subordination des femmes aux hommes ou de l‘oppression commune qu’elles partagent”. De même que la revendication, “A travail égal, salaire égal”, n’implique pas forcément chez elles une “conscience de la division sexuelle du travail”. Donc on se focalise sur ce qui concerne les femmes en tant que groupe, catégorie “défavorisée”, sans comprendre la relation sociale qui définit leur rôle et leur identité ainsi que leur statut, sans voir le lien à l’ensemble. La question des femmes reste donc localisée à certains problèmes. Or lorsqu’on parle de “relations sociales” on ne parle par de relations interindividuelles, mais de relations de production au sens marxiste du terme, fondées sur des rapports de production spécifiques qui déterminent les relations interindividuelles.

Se référer à une structure évite aussi de s’en prendre aux hommes comme individus -même si chaque femme se confronte dans l’intimité et dans sa tête, à un homme dont elle doit se libérer et pas seulement qu’elle doit accuser!-pour montrer comment hommes et femmes sont assignés à leur place respective. Que les hommes en tirent profit et jouissance parce qu’ils occupent une place de pouvoir, c’est la force de constitution subjective d’un mode de production, qui fait que les hommes reproduisent ce mode par eux-mêmes, escamotant ainsi la réalité de leur propre condition, leur soumission à la figure d’un Maître. Que les femmes y trouvent aussi profit et jouissance, montre comment ce système sait mobiliser le psychique des individus sous la forme de la “duperie de soi” et des formes du désir. C’est aussi à cela que le féminisme, en tant que mouvement, doit se confronter et qu’il doit analyser, pour saisir le processus d’une reproduction qui ne saurait se réduire à de simples inégalités ou de manquements au droit, mais questionne toute la dialectique entre champ social et champ psychique, leur prise réciproque(3). Analyser le processus d’assujettisement permet de mener la lutte idéologique et politique à tous les niveaux, de lier le local au général. Et cette lutte on le voit, ne saurait se réduire aux “dénonciations”, mais doit inclure un travail d’analyse critique d’un système de production et de représentation, à la base. Elle requiert du même coup la théorie freudienne de l’inconscient que la théorie du genre a parfois tendance a laisser de côté, en effaçant la question de la différence des sexes (dans la prise “imaginaire” de l’avoir ou pas) au seul profit d’une construction sociale et que les dits “marxistes” ignorent superbement...Reste que la “différence” ne saurait être pensée en termes de rôles dévolues mais en tant que possibilité de rencontrer l’autre irréductible.

Que les femmes aient à s’émanciper et à se soulever contre toute forme de pouvoir, et partant contre la forme patriarcale de leur propre exploitation et domination, ne veut pas dire qu’il y ait d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Tout sujet est divisé entre le désir de se libérer et son acceptation de l’ordre dominant, comme forme d’intégration d’une reconnaissance. Efficacité d’une hégémonie culturelle et sociale, qui n’appelle pas seulement une soumission ou une répression, mais construit les individus dans leur identité, identité qu’ils revendiquent(cf Michel Foucault). On ne saurait dès lors ignorer la constitution pulsionnelle contradictoire et symbolique de tout sujet. J’ajoute aussitôt, que la lutte contre un système de domination ne peut pas se mener, avec l’illusion infantile qu’un jour le genre humain serait en paix avec lui-même, et que nous vivrons “heureux,” c’est-à-dire à jamais pacifiés, dans une société sans antagonismes, transparente à elle-même! Autant dire morts au désir et à la rencontre, robotisé(e)s, réduites à nos seuls besoins (que la structure aura planifiés). La liberté et l‘égalité seront toujours à conquérir dans n’importe quel mode de production et le bonheur n’est un état que par contraste. Il y aura toujours de l’Autre, sous la forme même de l’inconscient comme limite à ma toute-puissance, heurt du réel, pris lui-même dans la matérialité des relations sociales. A moins de rêver d’une jouissance de petits egos sans limite, qui ne rêvent d’égalité, que pour récuser tout assujettissement même au langage, même à la transmission! Ne confondons pas égalité sociale et neutralisation des tensions, des contradictions... La vie comme Eros, ne saurait se penser sans la destruction et la mort, c’est pour cela qu’elle est vivante. La psychanalyse nous apporte cette force de désillusionnement.

Les femmes ne sauraient se concevoir elles-mêmes, seulement comme des victimes. Mais comme sujets désirant qui, dans leur souffrance, reproduisent sans le savoir le pouvoir qui les soumet, et mettent en place des systèmes de pouvoir compensatoires tout aussi redoutables, et en même temps des systèmes de contournement et d’invention. Car ce qui nous soumet nous donne tout aussi bien des repères identificatoires et des places constituantes, alors on y tient, on en joue, on les subvertit. C’est pour cela que la bataille idéologique dépasse la simple opposition ou la seule “résistance à”. Se mettre en mouvement vers- au-delà de l’accusation et des droits à obtenir-, c’est mettre une pensée au travail qui soit soutenue par une pratique de la “diffenciation maximale” (D.Sibony).

Une pensée se met au travail lorsqu’elle est portée par le désir. Et le désir ne surgit que là où ça fait écart avec la norme dans laquelle se meut l’individu. Là où quelque chose d’inconnu se risque, qui nous sépare de nous-même, fait jouer une scission et donc un élan. Le désir concerne l’au-delà du besoin, même s’il s’appuie sur lui. Il est en excés sur le besoin et rabattre le sujet sur ses “besoins” c’est le rabattre sur son animalité et même dirait Marx sur sa “bestialité” (sur un réel réduit au corps brut). Parcequ’il creuse un au-delà, le désir porte loin, force le chemin, disjoint la nécessité, alors que dans le besoin nous sommes collés à l’immédiat, collés à la manipulation des urgences à “combler”, au détriment d’une stratégie portée par des luttes. C’est bien pourquoi le capitalisme cherche à nous réduire à des besoins, en “montant” des objets qui semblent répondre à un désir fondamental de créativité et de liberté, alors qu’ils sont au service d’un processus d’assujettissement (dans le culte de l’appropration infinie), qui a pour corollaire une forme de “gavage”, appelée à nous soustraire de la parole. Mais le capitalisme a compris quelque chose du désir(comme jouissance), tandis que que la “gauche”, toujours bien-pensante et sage (petite-bourgeoise), n’y voit que du feu. Alors même qu’il est question d’un désir plus fondamental, de ce désir qui manifeste ce besoin vital, spécifique au sujet humain, de remettre toujours tout en question, jusqu’à la vie elle-même pour pouvoir relancer la vie, lorsqu’elle se trouve menacée dans ses fondements. Dés lors il ne s’agit pas tant de quelque chose à avoir (un objet, un espace, une place... ) que d’un mouvement qui nous divise indéfiniment. Pas tant d’une “réappropriation” de ce qui nous a été soi-disant enlevé, que d’une réinvention. Pas tant d’un objet enfin retrouvé qui nous comblerait ( cet imaginaire du communisme reprend l’idéologie du gavage), que d’un “risque à courir” (Freud).

Ainsi des appels de la gauche à lutter contre l’”austérité”, qui réduit la perception des individus à leur soi-disant besoins matériels. Nous bloquons le désir dans la plainte, la réclamation, le simple constat du malheur qui nous est fait. Croire que l’on peut mobiliser sur les seules “revendications” économiques (encore que la notion d’austérité est si vague, qu’il rejoint le langage consumériste) ou juridique est une illusion. Il y faut au contraire, le soutien d’ une perspective politique, idéologique, qui ne s’en tient pas à vouloir aménager ou améliorer le système mais qui, prenant appui sur les contradictions du système, porte le mouvement des luttes au bord extême d’un franchissement. Dans la portée d’une “brisure”, d’une destruction vivifiante où l’on se constitue soi-même, où se constitue la force d’un mouvement qui ne peut se développer sans enthousiasme (Rappelons Kant et son jugement sur la révolution française). Telle fut la Commune de Paris et les révolutions décisives du Xxe siècle (1917, la révolution espagnole...), C’est l’”apparaître” d’un mouvement autonome, d’un mouvement constituant sa propre puissance, là où on ne l’attendait pas, qui a inscrit le féminisme dans l’espace public et privé. Et cette puissance était en même temps liée à la puissance d’un mouvement social et politique qui s’est pourtant arrêté à chaque période historique, devant la possibilité d’un franchissement révolutionnaire. De là vient notre désespérance, et pas seulement du triomphe du capitalisme. Car le capitalisme n’a triomphé que porté par les reculs incessants des partis de gauche dits opposés, mais dont l’opposition a joué la carte de l’intégration bien comprise, acculant les masses au désespoir lorsque, confontées à une situation extrême, on propose de contenir et non de rompre (la rupture étant de semblant dans le discours). D’où, en partie aujourd’hui, la montée du FN.

Constituer sa propre force ne va pas sans cruauté, c’est-à-dire sans capacité à affronter le réel tel qu’il est dans sa violence, sans l’analyse lucide du niveau de la lutte des classes dont nous sommes nous-mêmes responsables, sans bilan donc du mouvement féministe. Bilan veut dire, non pas comptabilité des acquis et des reculs, mais analyse de notre stratégie d’ensemble par rapport au rapports de force actuels. Ce qui veut dire être capable de penser l’articulation des différentes instances de la réalité sociale: économique/politique/idéologique et la manière dont nous avons mené la bataille sur tous ces fronts. Analyser la conjoncture n’est pas relever des éléments épars et s’en tenir à une énumération (paresse de l’esprit qui laisse le langage spontané de l’idéologie mener la danse, puisqu’on en n’ analyse pas la fonction, le fonctionnement et l’emprise qu’il a sur nous), mais comme l’écrit Althusser comprendre “leur système contradictoire qui pose le problème politique et désigne sa solution historique, et en fait ipso fact un objectif politique, une tache pratique”(Machiavel et nous, 62); Analyser leur système contradictoire c’est en dégager les enjeux et donc définir notre stratégie. À partir de laquelle notre pratique quotidienne prend sens et se construit sur le long terme. Alors peut se préciser à chaque fois une dialectique entre luttes pour des réformes immédiates, participation aux mobilisations et lutte politique et idéologique révolutionnaire.

Dans quels rapports de forces avons-nous à construire ce mouvement? je l’ai dit, dans un rapport de force nettement en notre défaveur, dans le constat de nos défaites et de la reprise en mains vigoureuse par le capital (étant entendu qu’il n’avait jamais perdu la main). Nous ne sommes visibles qu’à la marge, avec pour conséquences d’avoir à s’essoufler pour maintenir un statu quo, qui lui-même s’amenuise. L’économique a pris le dessus, et notre intégration dans les institutions étatiques et européennes, nous a peu à peu étouffées dans le discours dominant de la gauche, qui s’évertue à croire qu’en se tenant sur le terrain de l’adversaire, elle pourra élargir ses marges de manoeuvre. Ainsi de l’illusion de pouvoir changer les fondements de l’Europe! Alors même que nous n’avons aucune prise sur nos propres Etats -ou du moins à la marge, ce qui ne change rien au processus général- et que l’Union Européenne reste inébranlable par rapport à nos mobilisations, verrouillant et accélérant ses réformes. Le réformisme de la gauche ne lui fait pas peur, mais accentue le sentiment d’impuissance, la démocratie n’étant remise en cause que dans ses manquements et non dans sa fondation.

Cette impuissance n’a d’égal que notre croyance, toujours renouvelée, en l’imminence de la crise finale que nous analysons comme l’impasse du capitalisme libéral (qui au contraire se porte très bien), et sur la force des soulèvements populaires. Or les mouvemenst populaires sont eux-mêmes étouffés, cadenassés par la stratégie d’intégration des partis et syndicats, et leur rejet de tout processus révolutionnaire qui poserait la question du communisme comme forme actuelle d’une rupture pour abolir l’état existant. Nous voyons bien là comment nous restons asservis aux interdictions de penser édictées par la pensée “unique”. Comme le féminisme n’est lui-même cité que pour référence, n’ouvrant aucune réflexion d’ensemble. On peut dire que l’idéologie dominante s’est implantée avec succés et que nous la soutenons en voulant ne rien en savoir. Nous sommes pour l’instant enfermé(e)s dans l’horizon idéologique imposé par la bourgeoisie et le capitalisme. Pourtant l’état des contradictions économiques et sociales, leur répercussion extrême sur les peuples, nous poussent à poser de manière la plus radicale la question du franchissement. C’est sur cette frontière que nous hésitons, reculons à nouveau.

Tirons les leçons: on ne peut simplement répondre aux urgences et soutenir en ordre dispersé telle et telle bataille, sans avoir une analyse d’ensemble qui nous permette de porter prioritairement nos efforts sur le maillon le plus faible: notre absence d’analyse theorique et notre refus de penser la forme d’une organisation. Notre rabachage sur l’austérité, l’état de l’économie, le recul des droits acquis, etc... ressemble plus à des banalités de constat qu’à une analyses réelle du rapport de forces.... Car revendiquer, manifester, sans comprendre les enjeux politique et idéologique d’une situation, et dégager un chemin, c’est renforcer la dépression des peuples. Aujourd’hui manifester ne sert à rien, sans une position radicale qui, au-delà de la demande à l’Autre, soit constitution de la puissance.

Qu’est-ce qui nous manque? Une théorisation des enjeux idéologique et politique qui se jouent sur la scène nationale et internationale liés à la stratégie du capital. Cette théorisation inclue l’ analyse du nouage entre, processus économique, devenir des Etats et des institutions, rapports de forces internationaux, discours et pratiques idéologiques...Nouer ainsi les différentes instances du mode production capitaliste, pour comprendre la force de son expansion (et non se contenter de dire qu’il est en crise!). Mais pour faire cette analyse il nous faut éclaircir nos positions et analyser l’idéologie que nous soutenons. A partir de quel champ de pensée parlons-Nous? Comment allons-nous définir notre action? Si c’est avant tout comme mouvement, alors ce sont les idées qu’il veut faire passer, soutenir qui importent et qui définira la manière dont nous participerons aux mobilisations surgies des luttes sur le terrain, le type d’alliance à passer avec telle ou telle organisation. Si c’est une perspective révolutionnaire, à nous de développer une pratique, de construire ce mouvement en lui donnant du souffle.

Mettre en avant la participation aux institutions comme stratégie primordiale, nous fait faire l’impasse sur la question idéologique et la mobilisation de masse. Comme nous ne sommes pas dans un rapport de forces favorable, cette participation demande une énergie épuisante pour peu de résultats. Elle nous fragilise dans notre capacité à penser les bases de notre stratégie, et les fins réelles que nous nous donnons. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas participer aux institutions politiques. Au moins pour se faire entendre et pour profiter d’un poste d’observation et de contact, rester dans la lutte à tous les niveaux. C’est un relais nécessaire. Mais nous serons de plus en plus inaudibles, découragées, si nous ne subordonnons pas notre participation au travail théorique, à la bataille idéologique et au rassemblement sur le terrain qui vise à constituer un mouvement indépendant des instances étatiques nationales aussi bien qu’européennes. C’est un travail de longue haleine. Alors il nous faut changer la manière dont nous pensons le temps, la temporalité dans laquelle nous vivons, nous arracher à l’angoisse d’avoir toujours à combler l’immédiat. Il y a un activisme préjudiciable aux causes mêmes que nous défendons. Le temps de la réflexion et de la construction est un temps désormais impossible à contourner. A moins de vouloir continuer à foncer tête baissée vers le désastre en croyant toujours “bien faire”, naturellement!

Encore un mot. Vouloir mener la lutte dans le seul espace européen c’est encore être en retard sur l’histoire. L’Union européenne a été et restera une construction des grandes puissances et des américains. C’est un espace géopolitique défini pour le marché capitaliste et pour peser dans le rapport de forces avec le reste du monde. C’est un découpage qui nous aveugle sur l’extension réelle des luttes. Or un combat révolutionnaire ne peut être qu’international, car le capitalisme comme le système patriarcal sont internationaux, avec pour chaque pays une implantation spécifique -(la notion de mondialisation est un point de vue du capital et reflète sa stratégie. Elle unifie sous un seul système là où il faut distinguer, diviser, relier selon les rapports de force)- et on ne saurait comprendre les enjeux politiques qu’au niveau international. L’internationalisme définit une stratégie de relations avec les peuples, avec tous les opprimé(e)s, les exploité(es) et les exclu(e)s des nations du monde. C’est à partir de là que nous pouvons déplacer les rapports de force, intégrer, penser la construction d’une puissance. L’Europe est une partie du monde composée elle-même de peuples très différents où chaque Etat, joue une partie bien précise, par rapport à la domination que l’Union européenne veut imposer. Il nous faut donc comprendre cette stratégie d’ensemble et nous déplacer vers la création d’une force nouvelle en nous liant à ceux et celles qui luttent et inventent sur le terrain, sans oser pourtant imposer encore la sortie de terrain.

Nicole-Edith Thevenin
Philosophe, psychanalyste

(1)Féminisme et marxisme, journées “elles voient rouge”, 29 et 30 novembre 1980, Ed.Tierce,1981.Ce livre est la transcription des débats engagés pendant 2 jours de colloque, entre les différentes tendances du Mouvement de libération des femmes. Transcription exceptionnelle qui garde la mémoire de discussions riches qui garde toute son actualité et plus encore.
(2) Sandrine Moeschler: Les représentations du féminisme, Université de Genève, 2007 travail de fin de Certificat en Etudes générales;

(3) Voir Nicole-Edith Thevenin, Le Prince et l’Hypocrite,ethique, politique et pulsions de mort, Ed.Syllepse (2011). Livre consacré à l’analyse de cette prise réciproque à partir des écrits de Marx et de Freud.